Delmira Agustini (1886-1914) est une poète uruguayenne. Elle fut une référence notoire du mouvement moderniste (1870~1920) de cette première décennie du XX° siècle latino-américain.

   Les critiques furent nombreuses et variées quant au recueil Les chants du matin paru en 1910. Il est vrai que la poésie de Delmira Agustini dérange. Cependant, l’expression poétique devrait-elle être la copie conforme des exigences d’une époque ? Devrait-elle se conformer obligatoirement à des normes préétablies par la gent masculine ? En ce début de XX° siècle, peu de femmes avaient accès à l’instruction. Plus rares encore étaient celles ayant eu le bonheur d’accéder à l’édition. Les auteures comme Delmira Agustini osant sortir des « sentiers battus », évoquant l’érotisme et s’octroyant les pouvoirs conférés depuis la nuit des temps exclusivement aux hommes, ne pouvaient que scandaliser ces derniers incarnant l’absolu du « bel écrit » moderniste, outrageusement inégalitaire pour ce qui est des prérogatives réservées aux femmes.   

   Dans l’imaginaire traditionnel, le sexe a toujours été une pratique liée au pouvoir. À l’homme revenait la conduite active, la passivité et l’obéissance étant toujours dévolues à la femme, laquelle devait − en bon « ange du foyer » − se concentrer sur le bon ordonnancement de la maison et l’éducation des enfants. L’auteure moderniste Delmira Agustini renversera cette tendance en mettant en scène une conception du rôle de la femme en général et de la sexualité féminine en particulier très différente. Elle bouscula les codes, mit en péril la suprématie institutionnalisée de l’homme dans la relation amoureuse, ce qui ne fut bien évidemment pas en mesure de plaire à tout le monde. Le critique uruguayen Cortazzo évoque une véritable révolution sexuelle.

   Le thème de l’amour présent tout au long des Chants du matin est décliné sous différentes formes : dominé par la passion dévorante de la femme, vampirique, mélancolique en raison de l’absence de l’être aimé, confronté au rêve, à la mort ; c’est aussi une fusion absolue de deux âmes à jamais entrelacées… Par ailleurs, on découvre dans Les chants du matin une poète maîtresse d’un style qui n’appartient qu’à elle, un traitement spécifique des mythes de l’Antiquité et des symboles qu’elle transforme, inverse, pour servir les besoins de sa cause.

     La traductrice Monique-Marie Ihry a remporté de nombreux grands prix de poésie. Elle est entre autres lauréate 2019 du grand Prix de traduction François-Victor Hugo de la Société des Poètes Français dont elle fait partie.