Un jardin féérique

C’est un jardin extraordinaire que Nadine Agostini nous invite à parcourir, de préférence si l’on est un vrai de vrai enfant, mais même si l’on est un enfant d’autrefois, un peu « attardé » dans la vraie de vraie vie et dont l’imagination est restée vive avec un goût du jeu que les années n’ont pas atténué : un réel joy d’amor pour les comptines et les histoires étonnantes.

Alors, que l’on soit petite ou grande fille, petit ou grand garçon, on entre d’un même élan dans ce jardin merveilleux et on se laisse emporter, amuser, convaincre et éblouir par les récits que la narratrice a construits pour notre plaisir autour de ce coin de nature où se déroulent toutes sortes de vies parallèles et inattendues : des merles qui vivent en couple jusqu’à la mort, des pigeons qui s’accouplent (peut-être) avec des cailles, des sapins qui grandissent la nuit de crainte d’être coupés au matin pour devenir des sapins de Noël, des roses habitées par un coléoptère qui « fait le tour du propriétaire. Il calcule la superficie de sa propriété. Regarde bien. Il arpente chaque pétale sur la crête, comme en haut d’une colline et hop !, il se laisse glisser en son centre. Ensuite, il multiplie la largeur de chaque pétale par sa hauteur et il obtient la superficie d’un pétale. Quand il aura mesuré chaque pétale, il l’additionnera à un autre à un autre à un autre et il obtiendra la superficie totale de la rose qui est sa propriété ». C’est un insecte intelligent dont le savoir ne s’arrête pas là ! Si un voyageur veut visiter sa rose, il exige un mot de passe ; et la narratrice, qui a des lettres et plus d’un tour dans son sac à malices, le trouve sans hésiter : « A rose is a rose is a rose. »

On croise aussi des cigales qui cymbalisent sans cymbales, des chardons jaloux et orgueilleux, un keskeujfélà réfractaire à la photographie, un dragon décapité sous terre, un chien qui joue en cachette du ukulélé, et un mystérieux contrat sous un œnothère ! Il y a même un tout petit bonhomme étrange au milieu d’un massif qui, les nuits de pleine lune, chantonne en joignant le geste à la parole :

La nuit la nuit
je ne renonce ni ne recule
la nuit la nuit
je revernis mes renoncules

Je ne vais pas révéler toutes les surprises et les enchantements que suscite l’enchaînement des histoires de ce jardin ; mais je veux noter l’allégresse avec laquelle Nadine Agostini ponctue chaque scène par des jeux de mots, des jeux sur les mots (« J’aime penser que “orage” vient de “eau rage” »), la délicatesse de son talent de pédagogue qui lui permet de se mettre à la place d’un enfant pour lui donner une explication rationnelle ou lui faire un clin d’œil complice et de mettre à la fin de l’ouvrage un index des termes plus ou moins difficiles traduits dans la langue de tous les jours ; quant aux illustrations, qu’elles soient photographiques ou picturales, elles soutiennent le texte de leurs couleurs éclatantes et de leurs traits pleins d’humour. Qu’on mette aujourd’hui ce livre entre les mains de l’enfant le plus rétif à la lecture, il deviendra un lecteur gourmand et définitivement passionné.

Danièle Robert

Nadine Agostini, Récits et contes de mon jardin, Cap de l’Étang Éditions, coll. « Plumes d’ivoire », 2024, 112 pages, 23€.